
Chantale Roy
Enseignante au Collège Éducacentre (Programme en Santé, Nutrition holistique)
Diplômée en enseignement en sciences de la santé et en art culinaire
Réduire son empreinte carbone avec une assiette plus verte

En 2016, l’Assemblée générale des Nations unies a désigné le 18 juin comme étant la journée de la gastronomie durable. L’ONU définit ce concept comme « une cuisine qui tient compte de la provenance des ingrédients, de la façon dont les aliments sont cultivés et dont ils arrivent sur nos marchés et éventuellement dans nos assiettes. »
En cette ère où la planète doit jongler entre changements climatiques et inflation, cela va encore de soi d’inclure l’art de la table dans notre liste d’activités quotidiennes à actualiser. Comment ce geste artistique, tantôt simple, tantôt sophistiqué, peut-il se faire de façon responsable, sans perdre un gramme de sa créativité caractéristique? La réponse repose assurément dans la perspective sous laquelle on abordera dorénavant la cuisine maison, la restauration et l’industrie alimentaire à plus grande échelle.
Urgence de la cuisine responsable
En 2022, doit-on vraiment changer sa façon d’aborder la cuisine? Pourquoi cuisiner de façon durable? La réponse est évidemment dans la question. Il est urgent de le faire. La planète s’agite de plus en plus et cette agitation s’accentue au rythme des rapports d’études sur le climat, publiés périodiquement, qui nous somment d’agir sur tous les fronts. Si, pour certains, les effets du réchauffement climatique se font sentir au quotidien (sécheresses, inondations, derecho…), pour d’autres, ces enjeux ne semblent s’appliquer « qu’à l’étranger ». L’horloge climatique de Damon Matthews de l’Université Concordia ne devrait cependant laisser personne indifférent! Celle-ci nous permet de voir, en temps réel, la température qui s’élève, les tonnes de CO2e émises et le temps qu’il reste avant d’atteindre le seuil critique de 1,5 degré Celsius d’augmentation.
GES et alimentation

La plupart s’entendent sur l’urgence d’agir, mais quelle est la part de responsabilité du geste innocent de cuisiner? En avril dernier, le 6e rapport du GIEC (Groupe international d’experts sur le climat) indiquait que l’agriculture représente environ 20 % des émissions mondiales de GES (gaz à effet de serre) dont 50 % sont dues à l’élevage. Il faut dire que le méthane, produit entre autres par les déjections des ruminants, est un GES ayant un pouvoir de réchauffement 86 fois plus élevé que celui du CO2 sur une période de 20 ans. Au surplus, l’étendue faramineuse des terres utilisées pour produire la nourriture du bétail prive la planète de milieux naturels, comme les forêts, qui auraient comme mission salutaire de séquestrer du carbone. N’oublions pas non plus le méthane émis par l’enfouissement de résidus alimentaires dans les décharges.
Sur ce plan, 8 à 10 % des GES mondiaux proviendraient des aliments qui ne sont pas consommés, selon le rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement). Cela constituerait 1,3 milliard de tonnes de nourriture par an. Évidemment, en plus de cette nourriture gaspillée, il faut tenir compte des semences et de l’eau requises pour les faire pousser. Il en est de même pour les aliments requis pour nourrir les animaux d’élevage qui, à leur tour, sont destinés à devenir de la nourriture pour les humains et qui se retrouvent trop souvent jetés à la poubelle.
C’est lorsqu’on fait ce scandaleux constat qu’on prend conscience du rapport multifactoriel que l’acte de cuisiner est directement établi avec le réchauffement climatique.
Inflation
L’impact environnemental est frappant, mais pour le commun des mortels, l’impact sur le portefeuille est souvent plus tangible puisqu’il affecte son mode de vie au quotidien. En avril dernier, le taux d’inflation au Canada par rapport à celui d’avril 2021 était de 6,8 %. Le panier d’épicerie à lui seul a augmenté d’environ 9,7 %. La guerre en Ukraine et les reconfinements stricts en Chine ont notamment créé un effet domino sur les chaînes d’approvisionnement, et par conséquent, sur le taux d’inflation.
Sagesse, créativité et intégralité
Même si la tentation est forte de lancer la serviette ou le torchon, le contexte actuel met habilement la table pour une gastronomie durable. Pendant que les prix en dollars et en tonnes de CO2 augmentent, il faut désormais choisir intelligemment des aliments qui sont moins énergivores, et ce, le plus possible dans leur intégralité. Le journaliste affecté aux dossiers environnementaux, Alexandre Shields du Devoir relate l’empreinte carbone des aliments qui figurent dans une étude de 2019 publiée dans la revue scientifique Nature :
De nombreux questionnaires visant à estimer l’empreinte carbone des citoyens évaluent à 7 kg les émissions de CO2 générées par les noix et à 0,06 kg pour les légumes. Bien entendu, ce coût environnemental fluctue selon les méthodes agricoles utilisées, le transport et l’emballage. À vue de nez, force est d’admettre que les végétaux sont les plus économiques sur le plan environnemental, et ce, peu importe où ils sont cultivés.
Empreinte carbone carnée ou végane

Si chaque cuisinier, amateur ou professionnel, mise davantage sur des ingrédients d’origine végétale, de préférence locaux et biologiques réduisant encore plus leur empreinte, on sera en voie de créer une véritable révolution en matière de gastronomie durable. La calculatrice de l’empreinte carbone du Royaume-Uni, carbonfootprint.com, établie à 3,36 tonnes de CO2 le coût annuel environnemental d’un gros mangeur de viande. En comparaison, celle d’un végane s’élève à 1,35 tonne.
On estime que la moyenne canadienne par habitant est de 17 à 20 tonnes de CO2, tandis que l’empreinte globale mondiale (alimentation, transports, appareils électroniques, etc.) serait de 4,5 tonnes de CO2. En visant la carboneutralité, ce que l’ensemble des pays du monde cherchent à atteindre dans les prochaines décennies, on devrait avoir une empreinte entre 1 et 2 tonnes de CO2e, en les compensant bien sûr par des crédits carbone (plantation d’arbres…).
Véritable « respect du produit »

Imaginons si, en plus, on réduisait drastiquement le gaspillage alimentaire! Certains chefs cuisiniers ont déjà développé cet art de la récupération des déchets alimentaires. Les fameux bouillons à base d’épluchures accumulées et remisées au congélateur font maintenant partie des techniques culinaires de nombreuses cuisines. Qui n’a jamais transformé de bananes trop mûres en pain aux bananes?
Il est possible et surtout souhaitable de faire appel à sa créativité pour toute partie d’un aliment qui était auparavant nonchalamment destinée à la poubelle. D’après le site Web « J’aime manger pas gaspiller Canada », les foyers canadiens jettent, quotidiennement, 470 000 pommes de laitue, 1 million de tasses de lait et 750 000 miches de pain. Sur ce même site, on retrouve les aliments suivants souvent en voie d’être perdus avec de multiples suggestions pour les utiliser :
Dans ce même ordre d’idée, voici d’autres astuces simples et pratiques pour utiliser nos végédéclassés :
Les enjeux économiques et environnementaux sont si criants que même les plus grands chefs se mettent maintenant de la partie. Michelin a d’ailleurs créé un logo à cet effet pour identifier les tables durables :
La téléréalité québécoise « Les chefs » surveille les poubelles de ses candidats et a créé un défi « récupération des aliments » dans un de ses plus récents épisodes. Certains ont concocté un flan de carottes avec leurs pelures, une purée de chou-fleur avec le pied de celui-ci, des croustilles de pelures de pommes de terre, des pieds de brocoli grillés, etc. On peut trouver ces recettes sur le site Web de Radio-Canada, Mordu.
L’industrie alimentaire en mode récupération

Les entreprises agroalimentaires plongent également à pieds joints dans cette nouvelle réalité. C’est même en train de devenir une tendance où l’on voit quelques-unes d’entre elles former un partenariat pour une économie en circuit court. Ainsi, une microbrasserie fera don de sa drêche, un résidu de l’orge, à une fabrique de collations qui la transformera en farine, en biscuits, en craquelins ou autres. Le marc de café des torréfacteurs sert de terreau fertile aux champignons des mycologues. L’okara ou pulpe de boisson de soya coagulée des usines de tofu sert à produire des galettes de burgers, des croûtes à pizza, etc. L’huile de tournesol d’une chaîne de restauration est récupérée pour faire du savon. Les fournisseurs de fruits et légumes font transformer leurs imparfaits et leurs invendus en jus, smoothies, tartinades fruitées, gaufres et sauces BBQ. Bref, le génie culinaire des entrepreneurs s’active pour maximiser les aliments, démontrant ainsi que l’environnement sert à l’économie et vice-versa. Ces innovations sauvent des tonnes de fruits, de légumes et d’eau, entre autres, tout en évitant l’émission de tonnes de gaz à effet de serre.
Évolution culinaire
Toutes ces mesures viennent pallier les débordements, les excès d’enfouissement et les pertes inutiles. Heureusement, le réflexe responsable prend le dessus dans bien des sphères. La gastronomie durable, c’est d’abord une approche de gros bon sens comme celle que nos grands-parents et arrière-grands-parents, qui cultivaient la terre, adoptaient d’emblée. En effet, cela n’aurait eu aucun sens de gaspiller ce qui exigeait autant de temps et d’énergie. C’était l’époque où chaque élément naturel avait sa pleine valeur. Les dernières générations ont vécu l’abondance sans trop se soucier des conséquences à long terme. Même si le réchauffement climatique et ses impacts concrets actuels nous pressent d’agir, il n’est pas trop tard pour le faire en changeant nos habitudes. Ainsi, tout bon cuisinier averti et conscient transforme maintenant sa culture en élaborant un menu selon ce qui est disponible, en cherchant des solutions de rechange, en créant avec ce qu’il a. Les amateurs, comme les professionnels, se doivent désormais de mieux planifier leurs repas, en composant avec ce qui est. L’avenir de la gastronomie, pour qu’il y en est un, se doit d’être ancré dans ce présent turbulent.
Pour en savoir plus sur la gastronomie durable, le Collège Éducacentre offre le programme «Nutrition holistique» et parmi ses cours, deux à la carte :
BIBLIOGRAPHIE
Carbonfootprint.com. (s.d.). Secondary carbon footprint calculator. Calculatrice de bilan carbone (carbonfootprint.com)
DonnéesMondiales.com. (s.d.). Évolution des taux d’inflation au Canada. Taux d’inflation au Canada (donneesmondiales.com)
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J’aime manger pas gaspiller Canada. (s.d.). En 5 façons, les aliments fréquemment gaspillés. J’aime manger pas gaspiller Canada (lovefoodhatewaste.ca)
La transformerie est le site Web d’une entreprise québécoise qui récupère et transforme des végétaux invendus et imparfaits. Les rescapés. (https://latransformerie.org/les-rescapes/)
Les snorôs (https://lessnoros.com/) est le site Web d’une entreprise québécoise qui récupère et transforme des végétaux invendus et imparfaits en gaufres.
Loop Mission (https://loopmission.com/) est le site Web d’une entreprise québécoise qui récupère et transforme des végétaux invendus et imparfaits en jus, smoothies, etc.
Nations Unies. (s.d). Journée internationale de la gastronomie durable. Journée de la gastronomie durable | Nations Unies
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Shields, A. (2022, 4 mai). Pourquoi les gouvernements n’encouragent pas le changement de régime alimentaire pour lutter contre la crise climatique? Le Devoir. https://www.ledevoir.com/environnement/706932/pourquoi-les-gouvernements-n-encouragent-pas-le-changement-de-regime-alimentaire-pour-lutter-contre-la-crise-climatique
Société Radio-Canada. (2022, 27 avril). L’épicerie : la récupération de déchets encore nutritifs. https://ici.radio-canada.ca/tele/l-epicerie/site/segments/reportage/399412/tofu-okara-dreche-biere-economie-circulaire?isAutoPlay=1
Société Radio-Canada. (2022, 25 avril). Les chefs, saison 10, épisode 2. Jill Niquet-Joyal (réalisatrice), Les chefs
Société Radio-Canada. (2022). Mordu, Les chefs : recettes. https://ici.radio-canada.ca/mordu/les-chefs/recettes
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Vernet, C. (2022, 14 mai). Le suprarecyclage gagne en popularité, mais de quoi s’agit-il? Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1883261/surcyclage-recyclage-dechet-valorisation-vancouver-economie-circulaire